L´Etat voyou a encore frappé

Les pertes humaines (neuf activistes) causées par l´opération de piraterie de l´armée israélienne sur la flottille humanitaire qui se rendait à Gaza le 31 mai dernier peuvent malheureusement paraître dérisoires à l´aune du nombre de victimes de la terreur exercée par l'Etat hébreu sur le peuple palestinien depuis des décennies (1385 morts, dont 318 enfants, pour la seule campagne militaire de Gaza en 2009 [1]). Cet acte barbare nous offre néanmoins l´occasion de nous étonner une fois de plus de la volonté d´Israël de repousser toujours plus loin les limites de la cruauté et de la violence aveugle. Il constitue en fait un symbole à bien des égards. Symbole tout d´abord du mépris de la vie humaine de la part du gouvernement israélien, qui de fait annonce aujourd´hui que le simple fait de protester contre le blocus illégal de Gaza et de chercher à s´y opposer est désormais passible de la peine capitale. Symbole aussi de l´impunité totale de cet état qui est en passe de réussir, et ce grâce au soutien indéfectible des Etats-Unis, le tour de force d´imposer à la communauté internationale qu´il soit une fois de plus juge et partie dans une enquête sur un crime commis par sa propre armée. Symbole enfin de la partialité des grands dirigeants de ce monde et des médias qui, égaux à eux-mêmes, ont fait preuve dans leurs analyses et leurs condamnations d´une frilosité aussi navrante qu´invraisemblable en embrassant sans discernement le victimisme éculé du discours de propagande israélien. A cet égard il sera intéressant de noter quelques aspects caractéristiques de la manière dont cette tragédie a été traitée dans la presse et dans les grands médias en général.

Légitime défense, de la part de qui?

Ce qui frappe avant toute chose c´est la place centrale occupée par cette question, à laquelle l´issue du procès tout entier semble suspendue: des passagers du Mavi Marmara ont-il réellement tenté de porter atteinte à l´intégrité physique des militaires israéliens? Autrement dit: peut-on considérer cette fusillade mortelle comme de la légitime défense? Aussitôt le drame révélé, la machine de propagande israélienne s´est empressée, avant même que les premiers témoignages de rescapés ne nous parviennent (on peut d´ailleurs saluer l´effort déployé par les autorités israéliennes pour retarder ce moment), de démontrer au monde entier le déchainement de violence intolérable dont leurs colombes en treillis auraient été victimes en se posant à bord du “navire de la haine”, comme il fut baptisé par Benjamin Netanyahu. Et les télévisions du monde entier de nous repasser en boucle ces scènes de nuit où l´on peut voir des individus s´acharner à coup de barres sur quelques membres du commando fraîchement débarqués... Je crois que ces propos d´Edward Peck [2] , un ancien ambassadeur américain qui était à bord d´un des bateaux de la flottille, résument bien cette aberration dans la manière dont les évènements ont été présentés:
“Vous voyez, une des choses qui illustre bien la déformation de la réalité dans cette histoire, c´est quand on entend parler de ce commando pacifiste, armé jusqu´aux dents, qui entreprend de s´emparer d´un bateau rempli d´hommes et de femmes en pleines eaux internationales, lesquels ne représentaient aucune menace pour Israël et ont essayé de se défendre comme ils pouvaient contre ces pirates, et qu´on présente les passagers comme les agresseurs. Ils étaient en train de défendre leur bateau! Les israéliens les ont attaqués et ils ne sont pas laissé faire!”. Un commando d´élite surentrainé d´une des armées les plus modernes du monde, soutenu par un arsenal militaire digne des films de guerre d´Hollywood, poussé dans ses derniers retranchements par une dizaine de militants armés de bâtons et de lance-pierres et contraint d´ouvrir le feu pour sauver sa peau... Le comique de cette description serait irrésistible sans le dénouement tragique que l´on sait. Dans un discours prononcé à l´occasion d´une manifestation de soutien au peuple palestinien à laquelle nous avions pris part ce matin à Halifax, un intervenant faisait cette comparaison assez juste (toute proportion gardée):”c'est un peu comme si un carjacker (un voleur de voiture) venait se plaindre à la police d´avoir été menacé par sa victime, celle-ci ayant tenté de faire usage de sa bombe lacrymogène contre lui”. En plus de constituer un acte de légitime défense, cette rébellion face à un commando aussi lourdement armé et offensif (tous les témoignages des passagers corroborent le fait que l´attaque (tirs à balles fausses ou réelles, bombes assourdissantes, gaz lacrymogènes etc...) avait commencé avant même que les militaires ne posent pieds sur le navire), dont les intentions pacifistes laissaient pour le moins quelques doutes, peut en réalité difficilement échapper à la qualification d´acte de résistance héroïque, ce qui pour les médias traditionnels n´était vraisemblablement pas de bon goût de suggérer.

“Vous êtes entrés illégalement en Israël”

Un autre élément avancé par la plaidoirie surréaliste de la diplomatie israélienne est le fait que son armée étaient en droit de stopper “par tous les moyens” ces navires, fussent-ils humanitaires, car ceux-ci s´apprêtaient à briser le blocus et à entrer illégalement dans Gaza. “Vous êtes entrés illégalement en Israël”, répondait en substance un israélien à Edward Peck qui lui demandait quelle loi il avait enfreinte pour mériter d´être arrêté et expulsé de la sorte. Plus le mensonge est gros... De deux choses l´une donc: soit Israël a décidé d´étendre sans préavis son territoire aux eaux internationales (où la flottille a été interceptée), soit nous découvrons une curiosité de la loi israélienne qui consiste à assimiler tout individu arrêté et conduit contre son gré en Israël à un immigré clandestin. Rappelons ici que selon le droit international (résolution 1860 de l´ONU) le siège de Gaza est illégal et qu´intercepter et s´emparer d´un navire voulant y faire escale ne représente ni plus ni moins qu´un acte de piraterie. Assumant pleinement son mépris de la législation internationale, le gouvernement israélien évoquera tour à tour la menace du trafic d´armes et les liens possibles de certains passagers avec des organisations terroristes comme justification indiscutable de leur droit à saisir ces bateaux. Il oublie bien entendu de mentionner que les navires de cette flottille de la liberté avaient tous été scrupuleusement inspectés par des organismes indépendants avant leur départ et ne représentaient de fait aucune menace pour la sécurité d´Israël [3]. On notera que malgré tout le zèle déployé par l´armée israélienne pour démontrer les intentions terroristes de cette mission humanitaire (quitte à publier de fausses informations sur l´identité des passagers [4]), on est toujours sans nouvelle des prétendues armes transportées sur ces bateaux. Après une semaine de fouille approfondie, les seules pièces à conviction détenues par l´armée israélienne laissent pour le moins perplexe: battes, billes, lance-pierres, couteaux de cuisine... La parfaite panoplie de l´apprenti terroriste. On n´ose pas imaginer les ravages qu´un tel arsenal militaire aurait pu causer aux mains des militants du Hamas...

Les médias ont-ils évoqué l´illégalité flagrante de l´assaut israélien? Le blâme en forme de trompe-l´oeil consistant à dénoncer presque exclusivement le fait que l´attaque s´était déroulée dans les eaux internationales masque en réalité la question plus fondamentale du droit d´Israël à exercer la terreur au large des côtes de Gaza, que ce soit au-delà ou en deçà de la limite des trois milles nautiques qu´il impose. Pour Barack Obama en tout cas, la menace que constituent les roquettes du Hamas pour les civils israéliens semble justifier pleinement l´intransigeance israélienne dans sa volonté de stopper la flottille. Répondant à Larry King, un célèbre journaliste américain qui l´interrogeait au sujet de cette affaire, le président des Etats-Unis aura cette explication très pédagogique qui s´inscrit parfaitement dans soixante années de rhétorique pro-israélienne et de soutien aveugle au terrorisme d´Etat de la part de la Maison Blanche [5]:
“Voilà ce que nous avons. Nous avons une situation dans laquelle Israël a des préoccupations légitimes s´agissant de sa sécurité lorsqu´elle doit faire face aux pluies de missiles qui s´abattent sur les villes frontalières de la bande de Gaza. Je me suis rendu dans ces villes et j´ai vu les trous que ces missiles font lorsqu´ils transpercent les chambres de ses habitants”. On a tout d´un coup envie de demander à Mr Obama s´il s´est également rendu à Gaza pour se faire une idée du diamètre des cratères qu´ont laissé les F-16 en bombardant cette ville 23 jours durant et des dégâts causés par les bombes au phosphore sur la population civile palestinienne (l´utilisation de ces bombes en zone civile est strictement interdite par les conventions internationales). Rappelons à l´occasion que les roquettes artisanales du Hamas ont tué exactement 20 Israéliens en huit ans, tandis que plus de 230 palestiniens mourraient sous les bombes israéliennes le premier jour de l´attaque de l´opération plomb durci le 27 décembre 2008 [6][7]. Mais écoutons la sagesse du grand humaniste Bernard-Henri Lévy et ne rentrons pas dans “le décompte sinistre des morts”...

Le but inavoué de la mission humanitaire: la provocation

Poussée dans ses derniers retranchements face à une opinion publique somme toute indignée qu´on s´attaque désormais aux convois humanitaires, la défense ira jusqu´à opposer à ces âmes sensibles un argument de taille: cette mission n´avait d´humanitaire que le nom, il s´agissait en réalité d´une provocation! L´inconscient a parlé, et l´arsenal psychanalytique freudien ne sera pas nécessaire ici pour démêler le sens de ces propos. On a tout d´un coup l´impression d´avoir gravi l´ultime col de cette montagne d´absurdité et d´avoir une vue imprenable sur ce monde ubuesque sorti tout droit de l´imagination des hérauts d´Israël, dans lequel Moïse aurait finalement fait graver un 11ème commandement: “Tu ne provoqueras point Israël”. La flotille de la liberté s´était donnée pour mission d´acheminer de l´aide pour la population de Gaza, soumise à un blocus inhumain depuis les élections législatives de décembre 2006, mais elle entendait très certainement faire aussi figure de symbole en brisant ce blocus afin d´alerter les opinions publiques du monde entier sur la souffrance vécue par ce peuple et la nécessité de mettre fin au joug israélien. Tous ces hommes et ces femmes courageux nourrissaient effectivement l´espoir inavouable de provoquer... une prise de conscience!

Une opération stupide et ... qui ternit l´image d´Israël

Venons-en maintenant aux “condamnations” exprimées par la communauté internationale. Interrogé par un journaliste de RTL, le ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner ne trouve pas de mots assez durs pour dénoncer l´intervention israélienne: “je pense que c’est une très grave erreur, sinon une faute”[7]. Qu´on ne s´y trompe pas, le pouvoir d´indignation de la France reste intact lorsque la vie humaine est méprisée de la sorte! L´ineffable et surmédiatisé Bernard-Henri Lévy, héraut sans peur et sans reproche de Tsahal, “l´armée la plus morale du monde” selon lui, qualifiait le jour même du drame l´opération militaire de “stupide”. La “stupidité” de cette attaque deviendra en fait très vite un leitmotiv médiatique et l'axe principale de la critique des amis d'Israël, qui regrettent de plus les conséquences “extrêmement dommageables” (Bernard Kouchner toujours) de cet évènement pour l´image même d´Israël. Les dizaines de morts et blessés semblent ici peser bien peu face à cette égratignure faite à la réputation de ce pays si exemplaire... Dans la bouche de la plupart des responsables politiques occidentaux, le crime commis par l´armée israélienne sera rapidement travesti en opération de contrôle de routine ayant mal tourné. Une bavure quoi... Doit-elle néanmoins faire l´objet d´une condamnation officielle de la part de la communauté internationale, voire même être sanctionnée? Pour le président américain, dont la position est le reflet fidèle de celle qui prévaut chez ses homologues occidentaux, il serait prématuré de condamner Israël, et “nous devons d´abord connaître tous les faits”. Doit-on en conclure que si démonstration était faite que des passagers du Mavi Marmara s´étaient effectivement rebellés et avaient usé de bâtons pour se défendre (ce que les passagers eux-mêmes ne contestent d´ailleurs pas) l´armée israélienne serait absoute de son crime? Israël a d´ores et déjà opposé une fin de non-recevoir à la demande formulée par le secrétaire général de l´ONU de voir la mise en place d´une commission d´enquête indépendante et internationale sur cette affaire. Après avoir vu la diplomatie américaine batailler ferme au conseil de sécurité et arracher une fois de plus une déclaration aussi peu contraignante que possible pour son fidèle allié , peu d´espoir subsiste quant à l´issue des négociations : l´enquête sera interne et les conclusions sont connues d´avance.

Alors que le bon sens et l´humanité la plus élémentaire devraient conduire à une condamnation unanime et sans nuance de cet assaut sanglant de la part de la communauté internationale, le tout accompagné de sanctions effectives déjà amplement justifiées par le seul siège (illégal) de Gaza, les victimes devront se contenter de simples “regrets” et d´une commission d´enquête placée sous l´égide de leurs propres bourreaux. Dans un contexte diplomatique aussi déprimant, on saluera les réactions plus courageuses de certains états comme l´Irlande, qui suite à ces évènements a officiellement soutenu l´envoi à Gaza du Rachel-Corrie, un bateau humanitaire irlandais portant le nom de cette militante américaine écrasée par un bulldozer israélien alors qu´elle s´interposait pour empêcher la destruction de maisons palestiniennes, mais également l´initiative citoyenne des dockers suédois, ceux-ci ayant décidé un boycott d´une semaine de tous les navires en provenance et à destination d´Israël suite au raid meurtrier sur la flotille humanitaire (des syndicats de dockers sud-africains et australiens avaient d´ailleurs fait de même lors des bombardements de Gaza en 2009). Ces actes de résistance citoyens doivent rappeler aux plus désabusés d´entre nous qu´une solidarité entre les peuples existe, et qu´elle peut prendre la forme de luttes courageuses et efficaces (boycott, pression de la rue sur les gouvernements, etc...). La guerre à gagner est d´abord celle de l´information. Le monde entier doit savoir. Qui peut aujourd´hui nier l´apartheid quotidien pratiqué par les israéliens envers les populations arabes, en Palestine comme dans leur propre pays? Qui peut nier les génocides commis par Tsahal et la mort à petit feu programmée du peuple palestinien? Les faits sont là, et les rapports des organisations de défense des droits de l´homme accablants... A l´aune de soixante années de conflit au Moyen-Orient et devant l´incapacité congénitale des grands dirigeants de ce monde à trouver une solution juste à cette crise, une chose est certaine: le changement ne peut venir que de nous. Jusqu´à quand les opinions publiques internationales accepteront-elles cette insulte à la dignité humaine et la complicité tacite de leurs gouvernements? Jusqu'à quand tolèrera-t-on l´impunité d´Israël?


Vive la Palestine libre!



1. (Site web de B'Tselem): http://www.btselem.org/English/Gaza_Strip/20091227_A_year_to_Castlead_Operation.asp

2. http://www.democracynow.org/2010/6/2/israels_explanation_for_deadly_gaza_aid

3. Le premier ministre turc Tayyip Erdogan a déclaré que les bateaux de la flottille avaient été soigneusement inspectés avant leur départ: “Je veux dire au monde entier, aux chefs d´états et de gouvernements, que ces bateaux qui ont quitté la Turquie et d´autres pays ont tous été strictement contrôlés avant leur départ selon les règles internationales de navigation et ne transportaient que de l´aide humanitaire”.

4. http://maxblumenthal.com/2010/06/under-scrutiny-idf-retracts-claims-about-flotillas-al-qaeda-links/

5. http://www.democracynow.org/2010/6/4/as_obama_refuses_to_condemn_flotilla

6. Site du Ministère israélien des Affaires étrangères: http://www.mfa.gov.il/MFA/Terrorism-+Obstacle+to+Peace/Palestinian+terror+since+2000/Victims+of+Palestinian+Violence+and+Terrorism+sinc.htm

7. http://www.pchrgaza.org/files/PressR/English/2008/list.pdf

8. http://blog.mondediplo.net/2010-06-02-Que-Gaza-sombre-dans-la-Mediterranee